Interview de Jeanne, maman de substitution de Léonie.
Bonjour Jeanne, ton expérience de maman de substitution est probablement une des plus intense de l’histoire du CCC. Léonie est arrivée très jeune mais surtout elle est arrivée avec un abcès au crane dût à un fragment de balle, aussi sa survie était remis en question.
Ce n’est pas rare que les bébés qui arrivent au centre aient des fragments de balle dans le corps, en effet lorsqu’ils sont capturés, les braconniers tuent leur mère et comme ils sont accrochés sur elle, eux aussi sont souvent touchés même parfois tués.
Léonie a eu la chance de survivre mais elle n’en est pas sortie indemne. Mais grâce à toi, un médecin et toute l’équipe elle est aujourd’hui en pleine forme, intégrée dans un groupe de 7 autres chimpanzés.
Avant d’entrer dans les détails peux tu nous raconter un peu qui tu es, si c’était ton premier séjour ? Quelles étaient tes motivations pour venir au CCC ?
Je suis arrivée au CCC, en février 2012 pour mon premier séjour, j’avais alors 22 ans. Je venais de valider ma licence en Biologie à Rennes. Je suis passionnée par les Grands Singes et l’Afrique depuis que j’ai 7 ans environ. A 19 ans, une première vraie expérience au Congo avec des chimpanzés confirme ma passion. Une fois ma licence validée, j’opte pour une année sabbatique pour repartir en Afrique avec des chimpanzés mais en Guinée cette fois-ci. Ce ne devait être qu’un volontariat de 6 mois. Depuis maintenant 4 ans, je multiplie mes séjours au CCC!
Avant qu’elle arrive au centre, vous saviez qu’elle était blessée ? Comment s’est passé son arrivée?
Léonie est une petite femelle chimpanzé qui a été capturée en Sierra-Leone fin 2011. Par chance, sa route a rapidement croisée un agent des Eaux et Forêts de Kindia qui l’a fait saisir et arrêter le militaire qui l’avait achetée. Léonie a ensuite rejoint le CCC, elle avait 7 mois à peine et était très faible. La vétérinaire et les managers qui étaient là à l’époque ont toute de suite vu qu’elle n’allait pas bien. En effet, lors de sa capture, pendant laquelle Leonie a vu sa mère mourir sous les balles d’un braconnier, une balle est venue se loger sous son crâne, provoquant un abcès comprimant dangereusement son cerveau. Léonie était paralysé du côté droit de son corps. A son arrivée, elle avait le regard vide et semblait juste attendre son heure. Sa maman de substitution pouvait la laisser seule, et Léonie ne disait rien, ce qui n’est pas habituel du tout pour un chimpanzé de cet âge là qui normalement reste accroché à sa mère et panique rapidement si celle-ci s’éloigne.
Comment ce sont passés les premiers mois avec elle ? Lorsque vos saviez que sa blessure était grave mais que vous n’aviez pas encore de solution pour la guérir ?
Lorsque j’ai rejoins le projet, Léonie était déjà là depuis plusieurs semaines et avait repris le goût de la vie. Elle avait alors 2 mamans de substitution, deux volontaires dont une qui s’apprêtait à rentrer en France. J’ai donc pris le relais. Très rapidement, Léonie a été mise sous antibiotique afin de faire diminuer l’abcès qui ne cessait de grossir. A ce moment là, nous placions beaucoup d’espoir dans les antibiotiques et pensions que ça allait peut-être suffire.
Vous avez ensuite fait un appel d’urgence pour faire venir un vétérinaire ou médecin qui pourrait la soigner. Seulement les chances de survie étaient minces. Comment as tu géré ton attachement envers elle, t’es tu protégé ?
Au bout de plusieurs mois de traitement, Léonie faisait des rechutes avec un abcès qui était encore présent, de fortes fièvres et une nouvelle fois ce regard vide, absent. Il a alors été décidé de tenter le tout pour le tout, faire appel à un neurochirurgien humain pour venir l’opérer et essayer de la sauver. Cette période a été dure pour moi, car Léonie faisant souvent des rechutes (refus de manger, de bouger, forte fièvre), j’avais été nommé maman de substitution principale car j’étais la plus ancienne de ses mamans et un lien fort était né entre elle et moi dés le début. Je ne pensais pas à moi, ce que je pouvais ressentir, mais je pensais plus à elle, à l’aider, la rassurer, être présente au maximum. Je n’étais jamais sûr de la revoir le lendemain mais quoiqu’il se passe, je voulais l’accompagner, qu’elle ne se sente pas seule.
Un médecin est venu en Novembre 2012, une chance pour Léonie ( Un reportage TF1 retrace d’ailleurs cette histoire ). Tu devais être hyper soulagée ?
Lorsque nous avons appris la venue du Dr Champeaux, nous étions tous extrêmement content! Une seconde chance était donnée à Léonie de s’en sortir. J’ai décidé de prolonger mon séjour de 3 mois afin d’être encore près d’elle et de l’entourer au mieux. J’avais peur que l’opération échoue, mais en même temps nous avions arrêté son traitement, cette opération était son unique chance de survie. Il fallait la tenter.
Léonie sur la table d’opération, toi tu ne pouvais finalement rien faire qu’attendre, tu l’as vécu comment ?
L’attente était longue, ne tenant plus devant la salle vétérinaire, je suis allée aider pour nettoyer des cages. Je devais m’occuper l’esprit impérativement!
C’était comment ton quotidien avec elle, avant & après l’opération, je suppose qu’il fallait prendre soin d’elle beaucoup plus que d’autre bébé en pleine santé ? Les difficultés n’étaient pas les mêmes ?
Les jours où Léonie était en forme, mon quotidien était le même que pour les autres mamans de substitution. Léonie était en forme dés le réveil et pressée d’aller en brousse. Je nettoyais sa cage, ce qui lui laissait le temps de faire quelques bêtises dans le camp!! Puis nous partions ensemble en brousse, elle jouait avec entrain puis faisait une petite sieste sur mes genoux. Ensuite nous rentrions au camp pour la sieste (qu’elle faisait très peu!). Puis nous repartions en brousse pour tout l’après-midi. Entre les séances de jeux, j’essayais de lui apprendre à pêcher des fourmis avec un bâton, à faire un nid…
Mais les jours où Léonie n’était pas bien (surtout les quelques semaines avant son opération), elle n’avait goût à rien. Ces jours là, Léonie avait une forte fièvre, refusait de manger, de boire et même de bouger. Dans ces cas là, au lieu de dormir dans sa cage, dans ma case, elle dormait avec moi, dans mon lit afin que surveille son état et surtout que je l’a rassure. Je l’emmenais tout de même en brousse, mais elle restait au sol, près de moi, le regard vide, absent. Certaines fois, elle était tellement mal qu’elle ne voulait pas qu’on la touche du tout sauf quand elle avait subitement besoin d’un câlin. Ces jours-ci étaient sombres et dures.
Après l’opération, pas trop peur qu’elle se cogne partout ? Elle a quand même un trou dans son crane suite à l’opération .. ( Moi même quand je suis avec elle en Brousse, j’ai toujours peur qu’elle se cogne et quand les autres jouent fort avec elle ^^)
A peine 1h après son réveil de l’opération, Léonie était bien agité et voulait jouer! Nous étions dans le camp et le temps que je tourne la tête, je l’ai vu courir, portant une pierre sur sa tête, pile sur sa cicatrice!! J’ai tout de suite su qu’elle ne prendrait pas en compte son opération. En brousse, bien souvent nous retenions notre souffle car en plus, Léonie est un peu maladroite. Quelques temps après son arrivée au CCC, elle avait retrouvé l’usage de sa jambe droite mais sa main droite prenait toujours une forme et une position étrange. C’est toujours le cas aujourd’hui mais Léonie s’est habituée et arrive à faire avec.
Léonie est restée longtemps toute seule avec uniquement ses mamans en contact. Pas trop difficile de passer ses journées avec un bébé chimpanzé ?
En effet, ce n’est pas toujours évident. Car un bébé, surtout aussi jeune, demande beaucoup d’attention. Un bébé chimpanzé est habitué à avoir sa maman rien que pour lui pendant quelques années, donc c’est important que nous gardions le même schéma. Certains jours, on se dit qu’on aimerait bien en effet faire une petite pause. Être mère de substitution d’un bébé chimpanzé, c’est beau mais aussi éprouvant. Surtout lorsque ce bébé est malade. Un bébé chimpanzé fonctionne approximativement comme un enfant, par moment il va essayer de tester l’autorité, voir où sont les limites. Il faut donc être doux, protecteur mais en même temps ferme. Et bien sûr, il y a les biberons à donner en pleine nuit, les couches à changer…
Tu as vécu son intégration avec N’Dama, qui est d’ailleurs un peu devenue sa meilleure copine. Tu peux nous raconter comment s’était ?
J’étais en France au moment de son intégration avec N’Dama. Les managers et la directrice ont choisi de faire cette intégration après mon départ. Ma relation avec Léonie est forte et pouvait donner l’impression à N’Dama qu’elle n’a pas sa place, et en même temps Léonie aurait pu avoir un comportement plus agressif, persuadée que je la protégerais. Cette intégration c’est bien déroulée!
En revanche j’étais présente pour son intégration dans le groupe des Nusery, le challenge était tout autre pour elle ainsi que pour N’Dama. Elles devaient trouver leurs places dans un groupe de 5 chimpanzés à l’époque! Tango a tout de suite était très protecteur et joueur avec Léonie. Voyant qu’elle n’était pas à l’aise dans les arbres, il l’aidait à passer d’arbre en arbre. Tango marchait sur une branche pour passer à l’arbre d’à côté, puis il retenait la branche bien à l’horizontale pour que Léonie passe à son tour et que la branche bouge moins. Tya, Sam, Baïlo et Labé, les autres individus du groupe ont accueilli N’Dama et Léonie avec un petit plus d’agitation, ce qui a un petit peu effrayé Léonie les premiers instants. Puis très rapidement le groupe a trouvé son équilibre.
Il a fallu que tu rentres en France, comme toutes les mamans la séparation est difficile, souvent plus pour la maman que pour le chimpanzé d’ailleurs. Tu l’as vécu comment ?
Je n’ai jamais eu l’impression de la quitter en réalité! Car une fois mon premier séjour terminé, au bout de 9 mois, j’ai décidé de revenir. Donc je ne suis rentrée que 2 mois en France et ensuite, retour en Guinée, au CCC pour 6 mois. C’est d’ailleurs pendant ce second séjour que nous avons intégrée N’Dama et Léonie dans le groupe des Nursery. A la fin de celui-ci, je repartais tranquille, apaisée car Léonie était avec d’autres chimpanzés et se sentait bien dans ce groupe. C’était d’ailleurs touchant de rentrer en France (pour revenir en fait 6 mois après!! ;)) en laissant Léonie avec ses congénères.
Depuis cette épisode, tu es investi dans le projet, cela fait donc maintenant 4 ans. Leonie y est pour quelque chose ?
Je pense que Léonie y est bien sûr pour beaucoup dans mon engagement pour ce projet. Elle a marquée ma vie, quelque chose de fort me relie à elle, au CCC. Mais c’est aussi parce qu’en venant la première fois, j’ai aimé le projet, ses objectifs, la manière dont les gens travaillent et comment ils voient les choses. Je savais que sur place et au contact de ces personnes j’avais beaucoup à apprendre.
Au moment où tu répond à cette interview, tu retournes au CCC lundi ( 8 février 2016 ). Cela fait 1 an et demi que tu n’as pas vu Léonie. Qu’est ce que tu ressens ?
Je suis bien sûr impatiente de voir Léonie, son évolution au sein du groupe, ses relations avec les autres membres, comment elle se débrouille pour chercher à manger… Tout ce qui est essentiel pour qu’elle puisse être relâchée et vive libre une fois adulte. Le cadre de ma venue est maintenant tout autre que de m’occuper de bébés chimpanzés, mais je reste toujours très enthousiaste à l’idée de la revoir.
Un peu stressée qu’elle ne te reconnaisse pas ?
Égoïstement je dirais oui. Suite à tout ce que j’ai partagé avec Léonie, et surtout tout ce que je lui ai donné, j’aimerais bien évidemment qu’elle me reconnaisse et me retrouve avec plaisir. Mais en même temps, je suis heureuse de la voir avec d’autres chimpanzés, dans un groupe plein d’avenir. Son avenir, ce n’est pas moi, ou les autres mamans de substitution qu’elle a pu avoir. Son avenir, ce sont ses congénères et sa vie en brousse. Je ne rêve que d’une chose, la voir relâchée un jour, donnant naissance à un bébé libre. Peu importe au final qu’elle me reconnaisse ou non, le tout c’est que sa vie continue mieux qu’elle n’a commencée. Je suis fière d’elle et du chemin qu’elle a parcouru, à elle ensuite d’avancer entourée des siens.
L’un de mes souvenirs le plus marquant avec Léonie était en brousse. J’ai pris des branches qui étaient au sol, pour fabriquer un nid, comme le ferais un chimpanzé afin de montrer à Léonie comment faire. Pendant que je le confectionnait, elle me regardait avec attention. Puis je me suis couchée dedans. Léonie a ensuite pris à son tour quelques petites branches, les mettant en cercle un peu maladroitement, juste à côté du nid que je venais de fabriquer. Elle s’est allongée dedans et ma regardait, vocalisant de contentement comme elle ne l’avait jamais fait auparavant!!
Merci Jeanne !
2 réflexions sur « Interview de Jeanne, maman de substitution de Léonie. »
votre histoire avec Léonie est très touchante et je vous envie quelle belle aventure ça fait rêver même si je me doute bien que cela n’ a pas toujours été facile. C’est rassurant de savoir qu’il y a des gens comme vous dévoués qui se battent pour sauver des animaux victimes de la cruauté des hommes. Vous avez une vie riche d’émotions, d’aventure je vous envie. Bonne chance pour la suite de votre mission
Great work, Jeanne! Nice to read this story and hope Leonie makes it back to the wild someday.